PREMIER VRAI CONTACT AVEC L'EST
- parispekin1
- 7 juil.
- 3 min de lecture

Journal de Roland DARGELEZ
Mercredi 3 juillet 1985
Dans la nuit du 2 au 3 juillet, on passe le rideau de fer qu’on ne verra pas dans la nuit profonde. Sur les quais sont postés les soldats, armes à la main. Pas très joyeux tout ça !… Ce qui m’interpelle, c’est cette forme de casque si particulière. J’ai l’impression de voir les casques de l’armée impériale dans « Star Wars ». Je les filme avec ma caméra, bien planqué, car s’il me voit, ça va être la fête ! … Malgré la pellicule très sensible que j’avais mise dans la caméra, la nuit noire et le peu de lumière n’ont pas imprimé la pellicule. L’image est aussi noire que la nuit…
Nous sommes cantonnés à l’intérieur du train, interdiction de sortir, voir ouvrir les fenêtres. Interdit de repartir tant que chacun n’a pas repris la place qui lui était allouée ! Cela promet à la frontière soviétique et chinoise.
Ça rigole bien dans le train, avec une certaine inconscience, d’autres avec une certaine crainte. Cinq heures de retard, une simple formalité. De quoi stresser les douaniers de tous les pays de l’Est ; toutes ces caméras, appareils photo, ordinateurs, studio radio du train, sans compter nos 3000 livres. Et surtout ces 400 jeunes turbulents et désinvoltes avec en tête du convoi, « le Théâtre de l’Unité » qui se charge bien de mettre de l’ambiance!
Nous nous réveillons en découvrant les paysages de Pologne, avec une impression de France d’avant-guerre que j’ai vu dans les films d’antan. Je pense aussi à « Solidarnosc ». (Solidarité), cette fédération de syndicats qui, à ses débuts, était dirigée par Lech Walesa qui s’est opposé au régime de la Pologne communiste. J’avais mon pin’s, une main ouverte. Le mien était rouge.
Nous arrivons à Varsovie. Interdiction de descendre du train ! Ah bon !!! Le train s’arrête et tous descendent pour se dégourdir les jambes et là, c’est une véritable fête. Un couple âgé en costume folklorique nous accueille en tenues traditionnelles. Lui, joue avec son accordéon, elle, chante et danse. Nous dansons. Mais, il est temps de repartir…
Arrivés à 20 h 30 à Brest, à la frontière soviétique, nous descendrons de notre train pour en retrouver un autre. Nous sommes contrôlés jusqu’à 2 h du matin.
Tout est passé au peigne fin. Fouille minutieuse, valises retournées ! Quel zèle, la réception est glaciale comme le froid sibérien que je ne connais pas, mais que j’imagine très bien... mais bon, il faut y passer : ordinateur, appareil... Tout doit être ouvert, scruté. Le douanier veut passer les pellicules qui sont dans une mallette renforcée au rayon X. Il est fou ce type ! Avec détermination, je lui fais comprendre qu’il en est hors de question. Les pellicules seraient inutilisables et celles déjà utilisées seraient voilées. Il menace. Je ne cède pas et je négocie de sortir les plus de 50 bobines pour qu’il constate que je n’importe pas je ne sais quoi ; des choses subversives… Alors que c’est nous les choses subversives ! Leur zèle est-il là plutôt pour impressionner ou de la paranoïa ? Les deux peut-être !… Notre groupe n’est pas le seul dans cette situation, d’autres groupes sont dans le même cas. Ils fouillent tout, les vélos, les têtes de carnaval dans tous les recoins. Un de nos voisins de compartiment place en évidence dans sa valise une revue x (new-look) intentionnellement bien sûr, afin que le douanier le voit. C’est une douanière qui s’occupe de la besogne, regardant la revue sur toutes ses coutures, avec beaucoup de retenue, mais on la sent gênée quand même. Par contre, ses collègues décryptent la revue avec plus d’attention. Celle-ci confisquée comme des saucissons qui traînaient dans une valise ! Ce n’est pas perdu pour tout le monde !
Bon, avec l’URSS ça commence bien !…
Enfin, nous voici intégrés à notre nouveau train, nos nouveaux wagons qui sont plus confortables avec un samovar et un stewart pour chaque wagon. À nouveau se posent les questions de la restauration, de la toilette… et nous sommes prêts à traverser ¼ du tour de la terre. Mais pour le moment, nous prenons nos nouveaux repères, commentons notre passage à la frontière dans la bonne humeur, après les tensions de la soirée !
Maintenant direction Moscou ! …
Crédits : Récit de Roland DARGELEZ, Photographies Christine GUINOT, Hervé LOORA, André LAPEYRADE, Roland DARGELEZ.